Les personnages mis en scène sont Agnès et Laura, deux sœurs, Paul, le mari d’Agnès qui épousera Laura après la mort de la sœur. Avant l’accident de voiture qui provoquera la mort d’Agnès, celle-ci va petit à petit se détacher du monde, comme si elle voulait céder la place à quelqu’un d’autre. Sa sœur prendra sa place après sa mort. Kundera veut montrer les distinctions entre le soi et l’image de soi, qui seraient les deux composantes de l’individu. Si le soi est mortel, l’image peut, elle, aspirer à l’immortalité. Il puisera dans la grande culture européenne des exemples de cette course à l’immortalité.
Du même auteur : Risibles amours . La Lenteur . La Fête de l’insignifiance
« La dame pouvait avoir soixante, soixante-cinq ans. Je la regardais de ma chaise longue, allongé face à la piscine d’un club de gymnastique au dernier étage d’un immeuble moderne d’où, par d’immenses baies vitrées, on voit Paris tout entier. »

Comment peut-on réussir à véritablement résumer cet ouvrage ? Car si vous n’avez pas encore lu L’Immortalité, vous allez rapidement vous rendre compte au vu de cette chronique que ce roman expose de multiples réflexions et questionnements sur la vie, la mort, la postérité mais aussi sur l’homme et sur sa relation avec autrui. Milan Kundera s’amuse à jouer avec ses lecteurs et avec ses personnages, tentant, et parfois réussissant, à les perdre pour finalement leur faire davantage comprendre tout le cheminement de sa pensée.
L’Immortalité traite plusieurs thèmes, chacun relié aux autres, qui mettent en lumière les caractères divers des protagonistes qui réussissent sans le savoir à justifier les différentes théories et hypothèses de Kundera. Agnès, naissant dans l’imaginaire de l’auteur par la force d’un simple geste d’une inconnue, ne réussit pas à être réellement heureuse malgré une vie aisée partagée avec sa famille.
Elle n’a jamais vraiment réussi à aimer Paul son mari et a du mal à créer des liens stables avec sa fille Brigitte. On va continuellement retrouver cette femme au sein des différentes parties de ce récit, apprenant à la découvrir et à s’y attacher. Elle-même réussira finalement à se comprendre et à saisir toute l’importance de la relation privilégiée qu’elle entretenait avec son père, seule personne qu’elle a réellement aimée.
Mais au-delà d’Agnès, de sa sœur Laura ou de Paul, Milan Kundera a toujours en tête le fait de questionner son lecteur, que ce soit sur les luttes contemporaines pour la liberté, l’égalité, l’indépendance, sur les différences inscrites entre les pays démocratiques et communistes, ou sur la lutte des apparences, de l’image de soi. etc…
Comme dans La Fête de l’insignifiance que j’ai découvert en décembre dernier, l’écriture de Kundera paraît tantôt contemplative face aux choses simples de la vie quotidienne qu’elle s’attache à dépeindre, tantôt plus dynamique et profonde lorsqu‘elle érige ces choses simples d’une manière singulière en leur donnant une signification, une définition profonde et réflective. Et si l’auteur semble digresser à certains moments, c’est pour mieux expliquer, voire valider, ses questionnements.
Ce sont particulièrement à ces moments où j’ai été le plus bluffée par l’intelligence de cet écrivain, par les mots qu’il choisit avec finesse afin de décrire ce qu’il veut nous faire voir, nous faire ressentir. La force de l’écriture et des divers cheminements de pensée de Kundera est continuellement palpable, et sans être toujours d’accord avec ce qu’il raconte ou explique, on ne peut qu’applaudir la manière dont il traite ses thèmes et ses exemples.
« Programmer l’ordinateur : cela ne veut pas dire que l’avenir soit planifié en détail, ni que « là-haut » tout soit écrit. Par exemple, le programme ne stipulait pas qu’en 1815 la bataille de Waterloo aurait lieu, ni que les Français la perdraient, mais seulement que l’homme est par nature agressif, que la guerre lui est consubstantielle, et que le progrès technique la rendra de plus en plus atroce. »
Au sujet de l’immortalité, ce n’est pas moins celle de l’âme que la trace que laisse une personne célèbre ou importante dans l’Histoire après son passage sur Terre, trace souvent subjective car parfois loin du caractère même de ce personnage public, que l’auteur s’attache à explorer dans cette œuvre.
Kundera prend en exemple la relation entre le poète Goethe et Bettina qui fascine malgré le peu d’échanges physiques, la naissance d’un amour unilatéral qui amènera la jeune femme à dépeindre le portrait de cet artiste allemand extrêmement reconnu à sa manière et donc de façon quelque peu romancée, qui deviendra pour beaucoup la figure de Goethe.
Cette partie est particulièrement captivante, nous offrant une part de l’Histoire avec des passages évidemment romancés à propos de personnes réelles, mais qui ne sont pas moins intéressants à explorer. Nous avons le droit également à un dialogue savoureux entre un Goethe et un Hemingway dans l’au-delà, conscients de la trace qu’ils ont laissé sur le monde et des apparences parfois trompeuses qui leur seront toujours collées à la peau.
Les questionnements sur la vie après la mort, sur l’existence ou non d’un Créateur se font alors, l’auteur ne répondant jamais catégoriquement à ces questions et nous laissant justement des pistes qui puissent aider à notre propre réflexion. Mais au-delà des vérités, des hypothèses, des métaphores brillamment produites dans le texte, Kundera réussit également à relier entre elles les diverses parties de son argumentation et de son histoire.
En s’inscrivant dans le même espace que ses personnages tout en interagissant avec un des protagonistes, Avenarius, il se pose comme le narrateur mais aussi comme personnage créant un effet de roman dans le roman parfaitement réussi. Ce livre qui demande réflexion et contemplation profonde ne plaira pas à tout le monde car il ne demande pas forcément le même degré de lecture que beaucoup d’autres livres contemporains. Néanmoins, dès les premières pages, j’ai été impressionnée de voir que j’étais déjà embarquée dans cette histoire et que je le suis restée jusqu’à la toute fin. Si vous avez eu l’occasion de découvrir cet auteur auparavant et que vous avez apprécié son style travaillé et fin, je vous conseillerais de vous lancer dans cette lecture très inspirante et qui appelle à la réflexion.
« si nous refusons d’accorder de l’importance à un monde qui se croit important, et si nous ne trouvons en ce monde aucun écho à notre rire, il ne nous reste qu’une solution : prendre le monde en bloc et en faire un objet pour notre jeu ; en faire un jouet. »
Coup de cœur pour cet essai brillamment mené comptant raisonnements et thèmes captivants et personnages développés avec finesse.
COUP DE ❤
Sortie : 2020 (1e éd. : 1990)
Édition : Folio
536 pages
Décidément, il faudrait que je découvre un jour cet auteur!
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Et tu as le choix ! Mais celui-ci est pour le moment celui que j’ai préféré. Je compte bien continuer sur ma lancée 🙂
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J’ai été fascinée par ce livre et par la façon dont Kundera traite ses thèmes. L’immortalité est un livre foisonnant. Il fait partie de la liste de livres à lire absolument que je suis en train de construire. Malheureusement, ma lecture est trop ancienne pour que je rédige une critique pertinente. Je vais donc faire un lien vers votre chronique. Je vous dirai quand cette page sur laquelle je travaille actuellement sera en ligne. Je ne demande pas de lien en retour.
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