

Deux femmes, l’une prête à détruire celui qu’elle a aimé, l’autre déterminée à se sacrifier pour celui qu’elle aime toujours. Spectateurs et parfois causes de ces drames antiques, les dieux grecs font face à la force et à la folie de ces deux humaines, Médée et Alceste, qui choisissent le cœur plutôt que la raison. Présentation de ces deux pièces d’Euripide qui n’offrent pas la même intensité mais une pleine perception des sentiments humains les plus chargés en émotion.
Médée
Le juste milieu est préférable à tout,
Par son nom d’abord ; les excès ne peuvent
Rien apporter aux mortels;
Ils sont la source, quand un dieu s’emporte
Contre une maison, de terribles malheurs.
La pièce s’ouvre et les lamentations commencent. Tout est clair dès les premiers mots de cette servante dévouée à Médée, Euripide propose ici une pièce purement tragique. Médée et Jason connaissent une histoire mythologique riche qui commence par la quête de la toison d’or du héros thessalien. Mais ce qui est au centre de la pièce ne sera pas le voyage des Argonautes pour la Colchide, les épreuves pour l’obtention de la toison réussies grâce à Médée ou bien même de la fuite des deux nouveaux amants jusqu’à Corinthe. Non, la pièce d’Euripide met en lumière la fin puissante et tragique des liens entre Médée et Jason.
Ce dernier tombant amoureux de la fille du roi de Corinthe, il est prêt à délaisser Médée, celle qui lui a permis de survivre et d’obtenir son aura de héros grec. Négligeant sa couche et lui laissant leurs deux enfants, Jason n’imagine pas ce que son ancienne épouse est prête à faire pour se venger. Les dieux eux-mêmes en sont surpris mais ne la gêneront nullement dans son funeste dessein. Dévorée par la douleur, la rancune et la jalousie, Médée est prête à tout pour faire souffrir Jason. Jusqu’à l’anéantir et commettre le crime le plus inhumain et le plus irréparable. Sa nature de femme pourrait même l’aider à accomplir sa vengeance, le roi de Corinthe et Jason ne pouvant imaginer ce qu’elle compte faire.
Pourtant, Jason connait l’ascendance divine de Médée et a déjà été témoin de ses pouvoirs et actes fratricides. Et malgré ça, cette dernière réussira à le surprendre une nouvelle fois, cette fois-ci pour le pire. Même si l’hésitation vient la tenailler au dernier moment, Médée est finalement prête à tout perdre rien que pour rendre Jason aussi misérable qu’elle. Cette folie froide et contrôlée est palpable et glaçante. Difficile de ne pas ressentir le désespoir de cette femme tout en s’effrayant de sa détermination qui nous parait insensée.
Cependant, nul doute que Médée est maîtresse de ses actes dans ce dernier acte et qu’elle ne voit que cette possibilité pour se délivrer de cet homme qui s’est détourné d’elle malgré tout ce qu’elle a abandonné et détruit pour lui. Euripide nous met face à la passion dévorante qui se transforme en haine meurtrière. Choisir les excès de l’amour quitte à tout perdre ou l’amour paisible qui ne laisse rarement place aux drames du cœur ?
LE PRÉCEPTEUR
Pourquoi baisser les yeux, et verser tant de larmes ?
MÉDÉE
Je ne puis m’en empêcher, vieil homme ; les dieux
Et moi-même avons tissé, dans notre égarement, cette trame.
LE PRÉCEPTEUR
Courage ; tes enfants te donneront, à toi aussi, une sépulture.
MÉDÉE
D’autres y auront droit avant la malheureuse que je suis.
Alceste
C’est parce que je connais ta valeur, que j’ai fait
En sorte que tu puisses voir la lumière, en sacrifiant ma vie (…)
Ton père et celle qui t’a mise au monde t’ont abandonné,
À un âge où il eût été beau pour eux de mourir,
Beau de sauver leur enfant par un digne trépas.
Avec cette deuxième pièce, on se retrouve face à un tout autre amour. Alceste et Admète, heureux dans leur mariage avec leurs deux enfants, ne comptent nullement s’entredéchirer à l’image de Médée et de Jason. Ce sera la force tragique du destin qui les sépareront.
Puni pour avoir oublier d’offrir un sacrifice à la gloire d’Artemis lors de ses noces, Admète, roi de Phères, est condamné à mourir. Mais Apollon, condamné par Zeus à être à son service, lui permet d’échanger sa vie contre celle de l’un de ses proches. Se sentant chanceux par cette aide divine, Admète s’attend à ce que l’un de ses parents choisisse de prendre sa place dans la mort. Hélas, ce sera son épouse Alceste qui sacrifiera sa vie encore pleine de jeunesse pour sauver la sienne. La pièce raconte alors le trépas d’Alceste et la douleur d’Admète de devoir laisser partir sa femme aux Enfers à sa place.
Commençant par l’éloge par toute la cité de cette femme prête à se sacrifier pour celui qu’elle aime, Euripide nous plonge directement en plein pathos. Quelle atrocité de laisser mourir une femme si belle, si aimante, si dévouée, si etc… La femme parfaite s’en va, laissant derrière elle un mari en deuil qui se lamente sans cesse dû à cette perte incommensurable. Nous ait alors succinctement présenté les coutumes de la cité telles que l’hospitalité et les règles de tenue des invités dans une maison qui n’est pas la leur. La pièce révèle alors un contexte historique qui apporte un intérêt plus grand que les personnages eux-mêmes pour des lecteurs contemporains.
Car, si l’on peut comprendre le sacrifice de cette femme pour l’homme qu’elle aime, on est bientôt mis face à cette question fondamentale : sommes-nous dans l’obligation de sacrifier notre vie pour celle d’un autre que l’on aime ? Cette interrogation à portée philosophique trouve toute sa puissance et son intérêt lors du débat entre Admète et son père. Le fils récrimine le père de ne pas s’être donné aux enfers malgré le peu d’années qui lui reste à vivre ; le père traite le fils de lâche d’avoir laissé quelqu’un d’autre, en prime sa femme, se sacrifier pour sa pauvre vie. Héraclès apparait alors, devenant l’invité d’Admète sans qu’il ne connaisse l’identité de la défunte. Débute alors un dialogue qui se perd en longueur jusqu’à une fin un peu trop belle et qui ôte une bonne part tragique à l’histoire.
ALCESTE
J’aurais du vivre, mes enfants, et je descends sous terre.
ADMÈTE
Que ferai-je, hélas seul, sans t’avoir avec moi ?
ALCESTE
Le temps te calmera : une fois mort, l’on n’est plus rien.
ADMÈTE
Emmène-moi, par les dieux, avec toi, aux enfers.
ALCESTE
Il suffira de nous, nous mourrons pour toi.
ADMÈTE
De quelle épouse, ô Destin, tu me prives !
Les rares fois où j’ai lu du théâtre c’est au lycée et ce n’est pas une réussite. Ce n’est vraiment pas un genre fait pour moi.
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En effet, c’est très particulier. J’ai découvert le théâtre au lycée moi aussi et contrairement à toi, j’ai tout de suite adhéré.
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Ah oui ? Même si j’ai bien aimé quelques pièces, je n’arrive pas à m’immerger et à m’attacher aux personnages comme je le ferais avec un roman. Et puis la mise en page spécifique casse le rythme de lecture.
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Moi aussi, je vais rarement m’attacher autant à des personnages de pièces qu’à ceux de romans mais la manière de raconter l’histoire peut-être parfois plus percutante de cette manière.
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Deux très beaux souvenirs, pour ma part… ❤
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Médée en sera un plus beau qu’Alceste pour ma part mais je suis contente de les avoir lu. Ça me donne envie d’en lire plein d’autres de l’époque antique.
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J’ai beaucoup de mal avec le format théâtre depuis quelques années, c’est dommage parce que les sujets de ces deux pièces me font très envie ><
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C’est spécial et totalement différent des autres genres littéraires, il faut accrocher. Personnellement, j’aime bien les lire à voix haute comme si je les jouais, ça m’aide à m’imprégner encore plus à l’histoire.
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