L’un connaît le premier amour dans la nuit obscure estivale, les deux autres tentent de parvenir à leurs fins en gagnant la partie, quitte à user de leurs charmes et à nuire à leur reflet. Les joies, les peines et les vices de la jeunesse ici exposés dans ce jeu de lumières dans lequel le mystère est bien plus doux que la vérité.
Du même auteur : Brûlant secret . Amok suivi de Lettre d’une inconnue . Vingt-quatre heures de la vie d’une femme . La Confusion des sentiments . Le Joueur d’échecs . Le Monde d’hier . Un soupçon légitime
Mais tu me demandes à présent une histoire, alors je te la raconte, ce soir, à l’heure où la mélancolie du crépuscule nous donne envie de voir s’animer sous nos yeux des couleurs vives qui finissent dans la grisaille.

Avant de relire La Confusion des sentiments, La Peur et Un soupçon légitime, j’ai eu envie de revenir à cette plume si humaine, si poétique, avec des nouvelles qui m’étaient alors inconnues. Une histoire au crépuscule et Les Deux Sœurs – également titrée Les Deux Jumelles dans d’autres éditions – ne sont pas les histoires les plus émouvantes et les plus exceptionnelles que j’ai pu lire de Stefan Zweig. Néanmoins, elles réussissent à créer leur propre identité de manière très différente.
D’abord, Une histoire au crépuscule, celle que raconte le narrateur à l’un de ses proches à une heure bien silencieuse. Cette histoire est celle d’un adolescent qui est sur le point de connaître les plaisirs et les désillusions propres à l’amour. Le soir, alors que les hommes jouent aux cartes et que les femmes sont remontées dans leur chambre pour la nuit, notre adolescent profite de la chaleur de l’été pour se promener dans l’obscurité. C’est alors qu‘une fille, dont il ne réussit pas à tracer les traits, s’accroche à lui et lui témoigne d’une passion qu’il prend plaisir à partager, ne serait-ce que pour un instant, jusqu’à ce que la créature retourne dans la propriété.
Déboussolé, le garçon va tout de même espérer revivre le même épisode le lendemain soir, ce qui ne loupe pas. Mais, quelle est l’identité de l’amoureuse qui passe son été dans la même demeure que lui ? Une de ses cousines, la femme de l’un de ses oncles ou cousins ? Le fantasme prend alors une ampleur telle qu’il supplante la réalité. La naïveté propre à son jeune âge nous fera sourire, tellement il est long à la détente. Et alors que la joie de l’inconnu laisse place à la déception, notre jeune pourrait nous paraitre un poil trop mélodramatique, ce qui finalement convient parfaitement à cette peinture de la jeunesse, de ses passions, de son romantisme et de ses excès.
Au sujet des Deux Soeurs, point de romantisme. Les deux reflets, aussi ingénues qu’ambitieuses vivent leur vie comme une immense compétition. L’une doit toujours supplanter l’autre, quitte à mettre en jeu son être et même son âme. Froides dans leurs machinations, elles obtiennent les faveurs de tous, étant le parfait mélange entre luxure et vertu. Sans regret à l’idée de faire du mal à l’autre pour obtenir ce qu’elles désirent, elles usent de leurs charmes comme de leur intelligence sans jamais penser qu’un jour, un retour de bâton puisse être possible. À se reposer sur la beauté de leur corps juvénile et sur leur esprit aiguisé, impossible pour elles de penser au jour où la chair et l’intellect se flétriront.
Néanmoins, leur force de caractère, leur persévérance à être indépendantes et reconnues et leur facilité à obtenir ce qu’elles désirent pourraient leur permettre de laisser une trace dans le temps à travers l’architecture de leur ville et de l’histoire des Deux Sœurs qui passe d’oreille en oreille, offrant à Helena et à Sophia ce qu’elles désiraient, l’immortalité et la reconnaissance.
La nouvelle se propagea comme une traînée de poudre, et à l’aurore tout le monde connut l’éclatante victoire remportée par Helena sur Sophia la novice, par la luxure sur la chasteté.
Pas les deux meilleures nouvelles de Stefan Zweig mais l’esprit de la jeunesse est bien retranscrit, avec une naïveté romantique et passionnelle pour la première et une compétition de la chair et de l’esprit pour la seconde. L’auteur réussit parfaitement à rendre ses histoires immersives dans ce jeu d’ombres et de lumières séduisant.

Sortie française : 2019 (1e éd. fr. : 2013)
Édition : Folio (2€)
118 pages
Moi aussi j’adore la plume de l’auteur et j’ai juste ce court texte dans ma PAL. Tu le donnes envie de le sortir le mois prochain 😁
J’aimeAimé par 1 personne
Ça se lite vite en plus ! Pas le meilleur mais j’ai eu l’impression de découvrir une autre facette de l’auteur avec une ambiance bien différente de Lettre d’une inconnue, Amok, Le Joueur d’échecs, etc…
J’aimeAimé par 1 personne