Aimé à outrance par son maître, le chien devient vite un véritable tyran. Mais que se passe-t-il le jour où la bête est délaissée par l’annonce d’un bébé dans le foyer ?
Du même auteur : Brûlant secret . Amok suivi de Lettre d’une inconnue . Vingt-quatre heure de la vie d’une femme . La Confusion des sentiments . Les Deux Sœurs . Le Joueur d’échecs . Le Monde d’hier
Pour ma part, j’en suis tout à fait certaine, le meurtrier c’est lui – mais il me manque la preuve ultime, irréfutable.

Numéro 1 dans mon classement des auteurs de 2021, il était temps que je vous présente ma dernière relecture de Stefan Zweig en décembre dernier. Très peu connue, Un soupçon légitime est une nouvelle assez différente quand on regarde l’œuvre globale de l’écrivain autrichien, même si ce dernier laisse toujours une place majeure aux émotions de ses personnages. Ici encore, Stefan Zweig exploite les événements de son intrigue afin de mettre en lumière les émotions les plus retentissantes, celles qui feront le plus de dégâts.
Ici, le rôle principal est étonnamment tenu par un chien. Comme souvent avec les nouvelles de cet auteur, le narrateur n’est pas le personnage principal mais celui qui voit l’action, le témoin, direct ou indirect, de l’intrigue. Ici, il est question d’un couple parti s’installer à la campagne dans un coin encore vierge d’habitations. Mais arrive alors une deuxième maison près des époux, bientôt habitée par un couple de trentenaires sans enfants. Lui est exubérant jusqu’à en être exténuant à prendre tout l’espace dans la pièce. Elle est effacée, silencieuse, comme éteinte malgré l’amour qu’elle doit ressentir pour ce mari qui la vide inconsciemment de son énergie.
« Qu’ils aillent au diable, lui et son bonheur ! » dis-je, aigrie. « C’est un scandale d’être heureux d’une façon si ostentatoire et d’exhiber ses sentiments avec autant de sans-gêne. Ça me rendrait folle, moi, un tel excès, un tel abcès de bienséance. Ne vois-tu donc pas qu’en faisant étalage de son bonheur il rend cette femme très malheureuse, avec sa vitalité meurtrière ? »
Pour calmer l’esprit toujours alerte du mari, le couple d’à côté a l’idée de lui offrir un chien. Quelle mauvaise idée… Pourtant, tout semble aller pour le mieux, le mari n’a de yeux que pour l’animal, le cajole, le gâte, le complimente. Mais bientôt, le chien, loin d’être bête, prend conscience de l’ascendant qu’il possède sur son maître et en profite. Se plaisant à faire tourner l’humain en bourrique, la bête n’accepte aucune remontrance et devient méchante à force de ne jamais avoir connu l’humilité. Régnant en maître dans sa maison, le chien ne comprend alors pas pourquoi, un beau jour, toute l’attention de son maître se pose sur un autre intérêt. Le couple attendant un heureux événement, le mari est obnubilé par le confort de son épouse et pour le bébé à venir, ce que le chien ne goûte absolument pas.
C’est alors qu’on sent petit à petit arriver la catastrophe. On la craint, on la redoute, on espère avoir tort même si tous les signaux sont au rouge. L’auteur est toujours aussi doué pour susciter l’intérêt et pour éveiller des sentiments forts et, souvent, contraires. Reste que cette nouvelle semble un poil trop surréaliste. Le chien est un animal intelligent mais celui présent dans cette histoire semble être un véritable génie. Ses traits de caractère étant poussés à l’extrême, il a davantage de l’homme que de la bête – ce qui est sûrement une des intentions de l’auteur, mais que j’ai trouvé peu subtil.
Pour terminer, je reviendrai sur le rapport qualité/prix des plus discutables. À moins que cela ait changé, mon édition de 2011 chez Le Livre de Poche compte 175 pages. Seulement, Un soupçon légitime ne fait que 66 pages. Vient ensuite la même nouvelle en allemand, ce qui n’est pas indiqué sur la couverture ou sur la quatrième de couverture, puis 50 pages d’analyse sur Zweig et ses mémoires Le Monde d’hier, que personnellement j’ai déjà lu. Tout ça pour 5,50€, alors que d’autres nouvelles de l’auteur se vendent à 2€ chez Folio, édition qui n’essaye pas de gonfler superficiellement l’ouvrage.
Le regard d’un animal, en cas de détresse extrême, peut devenir beaucoup plus émouvant, j’aimerais presque dire beaucoup plus éloquent, que celui d’un être humain, car nous confions aux mots, ces intercesseurs, l’essentiel de nos sentiments, de nos pensées, tandis que l’animal, qui ne maîtrise pas la parole, est obligé de concentrer toute son expression dans sa pupille.
Une autre relecture intéressante même si c’est loin d’être ma nouvelle préférée de l’auteur. On sent venir la catastrophe, le portrait de l’antagoniste se dessine de plus en plus terrifiant mais je n’ai pas toujours trouvé le tout réaliste.

Sortie française : 2011 (1e éd. fr. : 2001)
Édition : Le Livre de Poche
66 pages
Une nouvelle inconnue pour moi. Je ne crois pas être tombée dessus en librairie. Mais rien que pour l’écriture du point de vue du chien, ça m’intéresse.
Par contre, oui le prix est abusé, clairement…
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Si le nom de l’auteur ne suffisait déjà pas, le fait que le rôle principal soit tenu par un chien m’a définitivement convaincue. Merci pour cette découverte ! Et désolée pour cette pratique commerciale discutable !
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