Dix nouvelles pour mettre en lumière les dysfonctionnements sociétaux autour du métissage et sur l’impossibilité, selon l’auteur, de vivre ensemble à cause de la haine, des extrêmes et de l’incompréhension de chacun.

Jury du prix Librinova, je reçois plusieurs livres auto-édités promus par la plateforme. Je peux tomber sur des perles comme sur des romans pas du tout aboutis. Un peu comme à la loterie, je ne sais donc jamais à quelle sauce je vais être mangée. Et si ce recueil de nouvelles commençait plutôt bien, j’ai malheureusement rapidement déchanté. Patrick Kurtkowiak nous invite à regarder en face un des gros problèmes sociétaux dans notre pays : la mixité ethnique. À travers ses nouvelles, l’auteur raconte des récits de vie axés sur le métissage de ses personnages, sur l’image qu’ils renvoient et sur leurs propres idées reçues. L’idée de mettre en avant le mélange des cultures est très intéressante. Cependant, le parti pris de l’auteur peut vite être dérangeant.
Ce dernier est teinté d’un tel pessimisme et d’un tel cynisme que cela fait peur, auxquels s’ajoute parfois une vulgarité qui n’est pas nécessaire. Effectivement, le vivre ensemble n’est pas toujours présent entre les différentes communautés et les problèmes sont bien réels. Mais, en arrive-t-on toujours à l’incompréhension, à l’indifférence, à la haine ? L’auteur semble l’affirmer, n’incluant que peu d’espoir, le moule étant apparemment déjà cassé. Le problème est qu’on en arrive à des idées extrêmes, des caricatures et à des généralités qui stigmatisent des populations entières. Le fait d’inclure la COVID dans toutes les nouvelles rend l’atmosphère d’autant plus pesante. Je ne pense pas que l’auteur ait réussi à véhiculer son message, en tout cas je l’espère parce que le résultat est alarmant. Néanmoins, ce titre très bien choisi semble me donner tort. Si vous adorez regarder les chaînes d’info en continu (BFM, Cnews) qui annoncent toujours des mauvaises nouvelles et qui font des débats qui, parfois, attisent encore plus la haine entre les différents camps, ce livre peut néanmoins vous plaire.
NÈGRE BLANC
Au souvenir de son père décédé un an plus tôt, Gus pense tristement aux profondes scissions entre blancs et noirs depuis quarante ans. Alors que ses amitiés métissées se défont, il fait face à la montée violente des extrêmes.
On plonge sympathiquement quarante ans plus tôt en Afrique, dans une ambiance de franche camaraderie dans laquelle blancs et noirs pouvaient se retrouver en toute sérénité. Aujourd’hui, les choses semblent avoir bien changées, ce que regrette Gus qui désespère des problèmes sociétaux en France. La conclusion est étonnante, sans fard et assez défaitiste mais c’est aussi une perception du monde que beaucoup possèdent. La nouvelle interroge sur cette montée constante des extrêmes et de la haine entre des êtres humains qui ne sont pas si différents les uns des autres. L’appel à la tolérance n’est pas toujours le plus fort, et c’est bien de l’avouer. (le problème vient ensuite, quand on comprend que toutes les nouvelles se concluent avec ce même message pessimiste)
L’HÉRITAGE DU SHÉRIF
Propriétaires de plusieurs établissements dans une station balnéaire, Félix, dit le shérif, et sa femme s’imposent en maîtres pendant les vacances. S’impatientant de l’absence de descendance de leur fils Marc, ils goûtent pourtant peu à sa soudaine relation avec une nouvelle vacancière, Nora.
Métisse, Nora dénote dans ce paysage exclusivement blanc. L’histoire use de beaucoup de clichés et, plus embêtant, de parti pris dans la narration. Ça devient excessif dans la représentation des personnages et dans la tournure des événements. Au lieu d’être rassembleur, l’auteur en remet une couche en jouant sur les stéréotypes de chaque personnage.
L’HERBE POUSSAIT PLUS VERTE
En trouvant l’amour lors d’un voyage à Madagascar, Stéphane à décidé de s’expatrier pour sa retraite. Son frère Yann, ancien photographe, espère retourner bientôt sur l’île après le confinement de 2020. Penelope, la fille de Stéphane, est celle qui vit le plus mal le départ de son père.
On est dans une nouvelle familiale dans laquelle l’oncle prend un peu la place du père, avec Pénélope qui lui fait rencontrer sa nouvelle petite amie bien charmante. Le regard de Yann sur la copine métissée est un peu étrange mais l’histoire montre bien la complexité des rapports humains et la rancœur d’une fille envers son père, cette dernière cherchant malgré tout à se rapprocher de lui par des moyens détournés.
L’INFIRMIÈRE BERBÈRE
Suivant un traitement pour guérir de son cancer, Paul rencontre à l’hôpital Malika, une infirmière berbère assimilée. Discutant de leurs mauvais souvenirs dans leur pays natal et de leur souhait de faire avancer les choses en France, ils sont pourtant victimes des erreurs de leurs enfants.
C’est la première nouvelle avec une conclusion un tant soit peu positive, malgré une stigmatisation dérangeante tout au long de la nouvelle. Le lien entre islam et islamisme est très réducteur et c’est dangereux d’en arriver à ces raccourcis qui rajoutent de l’huile sur le feu. Mais, il est intéressant de suivre brièvement les évolutions politiques du Maroc même si on peut s’interroger sur le parti pris du narrateur au vu de ses réflexions tranchées sur tout le reste. Et encore la présence de la COVID qui, en plus de nous mettre un autre coup au moral, ne rend pas le recueil intemporel. Et s’ajoutent également ce pessimisme et ce cynisme constants qui fatiguent.
L’ULTRA-MARINE
À la Réunion depuis des décennies, Clara vit seule depuis le départ de sa fille pour le continent. Un jour, le père de sa fille fait une escapade sur l’île, le temps que les deux amants se retrouvent.
Je n’y ai pas vu beaucoup d’intérêt, c’est une histoire de solitude et d’abandon, d’un homme qui ne voulait pas être père, d’une femme qui vit seule dans ses souvenirs, il n’y a rien de transcendant, surtout quand l’écriture reste aussi simpliste. La plupart des hommes de ce recueil semblent être caractérisés par leur besoin de liberté, ce qui passe par le rejet de leur descendance, c’est assez affolant.
L’ÎLE ARC-EN-CIEL
À sa majorité, marquée par les émeutes violentes de 1999 sur l’île Maurice sur laquelle elle a toujours vécu, Shirley décide de s’expatrier à Montpellier. Vingt ans après, elle retrouve une ancienne connaissance avec qui elle fera un bout de chemin.
C’est intéressant de découvrir un bout d’histoire de l’île Maurice et sa démographie avec cette population cosmopolite mais très communautariste. Mais encore une fois, l’histoire est pessimiste et tournée vers le négatif. Pourquoi la majorité des hommes fuient leur responsabilité de père ? Et pourquoi chaque relation, même très courte, aboutit à un enfant ?
MALIKA RENCONTRE NORA
Handicapée, Nora embauche Malika comme infirmière alors qu’elle doit s’occuper de sa station balnéaire. D’abord bonnes amies, les deux métisses vont connaître des frictions à cause de l’addiction à la drogue.
Très mal écrite, la nouvelle passe du présent au passé sans prévenir. Nora, déjà présente dans la deuxième nouvelle, est toujours aussi détestable. Quelle est l’utilité de cette histoire ? Encore une fois, c’est vulgaire, inintéressant et mal raconté avec des personnages qui changent vite d’avis sans approfondissement de la part de l’auteur.
GUS SÉDUIT CLARA
Après sa séparation avec Elsa, Gus part pour le pays basque et trouve un nouvel emploi d’enseignement. Là-bas, il rencontre Clara, partie de la Réunion pour changer d’air.
Je ne comprends pas l’envie de l’auteur avec ce recueil vraiment démoralisant. Pratiquement rien de positif n’en ressort, tout est triste, extrême, cynique. Pourquoi proposer des personnages qui ne peuvent pas se remettre en question ou discuter sans crier et mettre la faute constamment sur l’autre ? La conclusion est nulle, le comportement de Clara est juste ridicule et l’auteur lui donne raison en plus.
AU BÉNÉFICE DU DOUTE
Élevant sa nièce, Yann gagne maintenant sa vie grâce à ses photographies dans une galerie. Sa rencontre avec Shirley, mère célibataire, pourrait lui offrir une nouvelle chance amoureuse. Mais, le retour de la belle Melissa pourrait bien tout chambouler.
J’ai l’impression de lire les réflexions d’un vieux monsieur éreinté et lassé par l’évolution rapide de notre société, qui ne retient que les extrêmes et les stéréotypes. L’utilité de cette histoire encore une fois ? Shirley repart comme elle est venue sans qu’on ne puisse comprendre pourquoi, et on ne sait pas si sa relation avec Melissa est véritable ou si elle est juste imaginée par le tonton jaloux et un peu lubrique.
MÉTISSAGE BAR
En panne d’inspiration, l’Auteur se rend au Métissage bar pour oublier ses idées noires concernant l’identitarisme. Là-bas, il y rencontre une nouvelle barmaid bien à son goût.
Cette dernière nouvelle propose une conclusion aux idées que l’auteur a voulu véhiculer : la montée des extrêmes, du communautarisme, de l’intolérance, de la haine. Mais, trop souvent, il reste dans ses réflexions négatives sans proposer de véritables alternatives ou sans montrer les côtés positifs du métissage et d’une société cosmopolite. On n’a le droit qu’à leurs défauts avec des personnages volages, égoïstes, haineux, etc… ce qui stigmatise encore plus leurs actes et les propos de l’auteur. Les descriptions de la barmaid faites par l’Auteur sont en plus bien machistes et pénibles, tout pour définitivement m’énerver.
Ce recueil choisit un axe bien pessimiste et cynique pour mettre en lumière le métissage en France. Souvent stigmatisant et caricatural, l’auteur peine à apporter une lueur d’espoir pour que l’on puisse croire à un avenir meilleur. Tout semble définitivement perdu, et ce n’est pas forcément ce que tout le monde veut lire.

Sortie : 27 janvier 2022
Édition : Librinova (autoédition)
Genre : Contemporain, Recueil de nouvelles
127 pages
Je suis jury aussi auprès de Librinova et je suis bien contente de ne pas être tombée sur celui-là.
Heureusement, au milieu de tous les livres qu’on nous envoie, il y a quelques pépites 🙂
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Oui, on ne tombe pas toujours sur de bons livres…
J’hésitais même à en faire une chronique mais je trouvais quand même intéressant d’en parler vu le sujet.
Tu apprécies ce que tu lis pour le moment en tant que jury ?
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Mouais. Les derniers que j’ai lus étaient sympas sans plus. Il y en a même un qui m’a donné l’impression d’être un brouillon tellement il y avait de fautes… Mais bon, dans l’ensemble, ça va. Par contre, je les chronique tous, même s’ils ne sont pas fameux 🙂
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Ceux qui ont trop de fautes ou ne paraissent pas aboutis, je les laisse passer parfois, c’est pénible.
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