Nouveau dans la petite ville de Harlowe, un commissaire-priseur propose des ventes aux enchères. Les habitants sont d’abord heureux de donner leurs biens, jusqu’à ce que la demande soit de plus en plus répétitive et menaçante.
Envieuse de connaître davantage le catalogue de Monsieur Toussaint Louverture, j’ai posé mon dévolu sur cette sortie de début d’année 2024, publiée aux États-Unis dans les années 70, Délivrez-nous du bien. Ce titre étonnant a suscité ma curiosité, et on comprend rapidement ce choix en commençant cette lecture. Le mal peut effectivement se cacher sous un voile de générosité et de bienveillance… Tel un conte sociétal, le roman de Joan Samson nous dépeint ce que l’inaction et le sentiment de danger peuvent produire sur une ville entière. Immersif, le roman m’a tout de même paru un peu trop long pour ce qu’il raconte.
Un nouveau bienfaiteur malintionné et une famille affable
John et Mim Moore sont un couple heureux de fermiers, vivant de leurs terres avec Ma, la mère de John, et leur jeune fille Hildie. Éloignés du reste de la population de Harlowe, un patelin près de Boston, les Moore apprennent les actualités du coin en allant au magasin Linden ou en accueillant chez eux Bob Gore, le shériff, qui apprécie débiter les cancans. Et justement, Gore a une grande nouvelle à annoncer à John : Perly Dunsmore, un commissaire-priseur, vient de s’installer à Harlowe dans l’idée de développer la petite ville grâce à des ventes aux enchères. Les Moore cèdent alors avec joie quelques biens dont ils ne se servent plus. Mais, la semaine suivante, le shérif, qui est devenu le bras droit du commissaire-priseur, revient chez les Moore pour une nouvelle vente aux enchères. Puis une autre. Puis une autre. Puis une autre…
John, Mim et Ma comprennent bientôt que le jeudi, quelqu’un viendra pour leur réclamer des objets à vendre. Et s’il ne leur vient pas à l’esprit de refuser les premières fois, il est bientôt impossible de dire non à Perly Dunsmore. Avec son charisme, le commissaire-priseur séduit toute la ville. Mais, malgré son sourire et sa bonhomie, cet homme ne recule devant rien pour obtenir ce qu’il veut. En enrichissant la police tout en la mettant dans sa poche, Dunsmore a maintenant un gros moyen de pression contre ceux qui refuseraient de céder leurs biens. Bizarrement, certains détracteurs sont victimes d’accidents…
La corde au cou, les Moore sont peu à peu dépouillés de leurs biens sans savoir quoi faire. Céder et ne rien dire ? Appeler à l’aide ? Fuir et laisser derrière eux leur bien le plus précieux, leur terre ? Pour ses habitants, l’atmosphère à Harlowe devient de plus en plus asphyxiante alors que les citadins se pressent pour venir chaque week-end profiter des enchères de Dunsmore. La zone rurale se développe, s’enrichit, tout en appauvrissant ceux qui y habitent.
« Tout ce qu’on peut faire, c’est s’enfuir, Ma. Il y a des gens comme ça. Soit on cède, soit on fuit. »
Un conte noir sur la dépossession et la soumission
Joan Samson nous montre bien avec quelle facilité un seul homme, avec les bons moyens, peut assiéger toute une communauté. Celle-ci, particulièrement docile et apathique, ne sait plus quoi faire pour se délivrer des griffes de son bourreau. Même en ayant rapidement compris la combine, John Moore se retrouve lui-même piégé, lui qui ne veut pas abandonner sa terre mais qui ne sait comment réagir. Terre à terre et débrouillards, les Moore, comme leurs voisins, se retrouvent complètement démunis.
Délivrez-nous du mal décrit avec talent l’effacement de la morale face à la capitalisation et les lois du marché, et la manière avec laquelle toute une population peut s’oublier et se soumettre en cédant une part d’elle-même. En ne suivant que le point de vue des Moore, éloignés du reste de la ville, on attend nous aussi les visites de Gore, Dunsmore ou Cogswell pour savoir à quel point la situation empire chaque jour.
Puis, on en vient à vouloir secouer tous les personnages pour qu’ils agissent enfin. Et si c’est l’effet voulu par l’autrice, il est vrai que le récit se répète beaucoup et s’embourbe un peu dans un ventre mou dans son dernier tiers. Le roman aurait pu être un peu plus concis tout en étant aussi efficace dans ses messages.
La fin, logique et attendue, est très appréciable et montre qu’il suffit qu’une personne ose se lever pour qu’une autre la rejoigne et agisse enfin. Cependant, cette conclusion est elle aussi quelque peu bavarde et longue. Si j’ai apprécié les thèmes abordés et cette immersion dans l’Amérique rurale, je ne garderai pas un souvenir impérissable de ce roman. Et pourtant, les personnages sont percutants et donnent à réfléchir sur le bien, le mal, la morale, la perte de son identité, la peur, etc…
– Tu ne penses pas que tout le monde devrait se douter qu’il y a quelque chose de bizarre ?/- Ils sont pas bigleux. Tu crois que ces hommes viennent comme ça et se tiennent tranquilles parce qu’ils trouvent ça confortable ? C’est juste que la camelote est pas chère. Et c’est pas cher parce que quelque chose tourne pas rond. »
Une immersion réussie dans une petite ville rurale des États-Unis dans laquelle un homme séduit puis terrifie toute une communauté. La soumission et la perte d’identité sont des thèmes très bien explorés mais le roman connaît un ventre mou entre répétitions et inaction vraiment longue.
Titre original : The Auctioneer
Sortie : janvier 2024
Édition : Monsieur Toussaint Louverture
Genre : Thriller
300 pages
Thématique très forte et tellement actuelle !
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Exactement ! C’est pour ça que les messages du roman sont percutants mais ça manque tout de même de rythme.
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