Emprisonnée à vie, Dorothy nous délivre ses pensées sur son existence guidée par son appétit féroce envers les mets culinaires, les hommes et les meurtres.
« Ils se ressemblent tous, les bars d’hôtel, même ceux qui ne se ressemblent pas. Le chêne et le verre, les palmiers et les bouteilles, l’éclairage qui émet cette lueur bien distincte, qui vous enveloppe de sa chaleur et se braque sur votre solitude. Les bars d’hôtel sentent le privilège de classe, la détresse et l’espoir. »
Critique culinaire dans un journal américain, Dorothy enchaîne les bonnes adresses comme les amants. Que ce soit au restaurant ou chez ses partenaires, elle consomme des mets de choix. Et, Dorothy n’a pas peur de se tâcher. En effet, le plus important pour elle est d’assouvir ses envies, quitte à tuer ses partenaires pour cuisiner une partie de leur corps.
À la première personne, cette cinquantenaire consciente de ses atouts comme de ses travers nous livre sans fioritures ou faux-semblants l’histoire de sa vie. Sans enfants, jamais mariée, indépendante, Dorothy a traversé les années en multipliant les hommes sans jamais se fixer réellement. Ce qui est finalement le plus curieux chez elle est cette soif de tuer ses prétendants lorsqu’ils s’y attendent le moins. Rien ne laisse présager une psychose de la part de cette femme qui profite pleinement de la vie. Sans remords ni état d’âme, Dorothy nous raconte les circonstances de ses assassinats et même, la manière avec laquelle elle a à chaque fois asséné le coup de grâce, comme si le lecteur suivait la scène en direct.
J’en venais presque à m’interroger sur la santé mentale de Chelsea G. Summers, l’autrice, qui retranscrit avec méthodisme et froideur les actes inhumains de son personnage principal. Mélange entre raffinement métaphorique et langage cru, sa plume est très percutante et même saisissante. Malgré les horreurs qu’elle perpètre, Dorothy est malsainement très intéressante à découvrir de son enfance à sa vie en prison. Pourquoi et comment une fille issue de la classe moyenne, sans gros problème apparent, a pu devenir une tueuse en série cannibale ? Je n’ai pas eu de mal à penser à Hannibal Lecter dans une version féminine aux envies sexuelles constantes.
« En tant que femme psychopathe, le tigre blanc de la déviance psychologique, je suis une merveille, et votre admiration m’enchante. »
La relation que Dorothy entretient avec les hommes semble simple et complexe à la fois. S’en servant pour avancer professionnellement ou pour assouvir ses besoins sexuels, elle les apprécie tout en faisant toujours en sorte de garder l’ascendant sur eux. Son obsession pour enquêter sur toute personne qui entre dans sa vie, ce qui pourrait lui servir en cas de chantage, révèle également beaucoup sur sa personnalité et sur son besoin de contrôle. Les chapitres tournés sur son passé entre années à la fac et vingtaine déjantée remplie de soirées alcoolisées et sexuelles ou sur son présent en milieu carcéral prennent davantage de place par rapport à ce que je m’attendais. Mais, il est intéressant de suivre l’évolution du personnage au fil des années.
Reste que le plus intéressant est évidemment lorsque Dorothy raconte ses histoires d’”amour” qui tournent tragiquement au meurtre. Et même dans ses moments, elle tente de séduire. Non pas ses proies, sur le moment plus occupées à tenter de respirer, mais nous, lecteurs, qu’elle provoque et titille. Et ça marche, on tombe totalement sous son charme malsain, incapable de détourner le regard de cette mante religieuse, tout en refusant de s’approcher de trop près, de peur d’être nous aussi avalés. Avec un mode opératoire différent à chaque fois, on est scotché par l’imagination débordante du personnage quand il s’agit de mener ses amants vers la mort, sans toutefois oublier de les combler avant leur dernier souffle.
Pour les personnes sensibles, La Vorace n’est certainement pas fait pour vous. Pour ceux qui aiment les histoires de tueurs en série froids et calculateurs, vous pouvez faire confiance à Chelsea G. Summers pour passer un bon moment entre sueur froide et voyeurisme malsain. La manière de l’autrice d’exploiter la figure féminine dans notre société est également très intéressante avec les mots « désir », « sensualité », « beauté » qui, malgré elle, lui collent constamment à la peau. Dorothy, elle, a choisit de s’en servir pour s’épanouir et s’affirmer. Et ça lui aura réussi, même dans les moments les plus macabres. Merci à NetGalley et aux éditions Mazarine pour cette lecture.
« Devant des plateaux de baumes à lèvres fruités et des montagnes de frites à moitié froides, j’ai appris qu’être femme est le produit d’un capitalisme aussi préfabriqué, indélicat, inhumain et abject qu’un Big Mac. Peu importe que ce soit vrai. Du moment que c’est goûteux. »
Un roman saisissant dans lequel une tueuse en série inquiétante par son sang-froid et son absence de remords nous raconte sa vie entre dégustations culinaires, parties de jambes en l’air et meurtres méthodiques.
Titre original : A certain hunger
Sortie : 18 janvier 2023
Édition : Mazarine
Genre : Contemporain
396 pages
Une réflexion sur “La Vorace, Chelsea G. Summers”