Princesse de Sparte, Clytemnestre est appelée à devenir une puissante reine. Mais, le destin ne sera pas tendre avec elle, lui donnant douleur, rancœur et haine qui vont peu à peu la transformer et la rendre cruellement mythique.
Les réécritures mythologiques et antiques ont le vent en poupe depuis quelques années. Et une mordue de mythologie grecque comme moi ne peut qu’être contente de ce regain d’intérêt pour ces légendes vieilles de plusieurs millénaires. Mais, tout le monde n’est pas Madeline Miller, elle qui raconte avec poésie et modernisme l’histoire de Circé (Circé) ou de Patrocle (Le Chant d’Achille). En effet, j’avais été assez déçue par le premier tome du Chant des déesses mettant en avant Pénélope qui attend avec sang froid le retour d’Ulysse à Ithaque. J’avais peur que Clytemnestre, la cousine de cette même Pénélope, mise en lumière par l’italienne Costanza Casati, ne me fasse que peu d’effets elle aussi. Je n’aurais pas pu mieux me tromper.
Une Spartiate née pour être reine
Élevée selon les coutumes de sa cité, Clytemnestre est une jeune femme combattive qui fait la fierté de son père, Tyndare, roi de Sparte. Comme ses frères Castor et Pollux, elle a appris le maniement des armes et le combat au corps à corps. Et si elle n’est pas destinée à s’illustrer sur le champ de bataille, Clytemnestre est tout de même appelée à un futur hors du commun : celui de devenir la reine d’un grand royaume. Sa sœur, Hélène, est elle aussi promise à une existence incroyable. Mais si Clytemnestre inspire par sa force et sa volonté, Hélène envoûte grâce à sa grande beauté. Les deux sœurs n’auraient pas pu être plus différentes, ce qui ne les empêche pas de s’aimern et ce sans limites.
Deux futures reines qui vont connaître un destin tragique, chacune à sa manière. Alors qu’Hélène va être le déclencheur de la guerre de Troie, Clytemnestre, elle, va devenir une reine d’exception dont l’Histoire ne va retenir que la cruauté et la trahison envers son mari. Mais, la Spartiate aurait-elle eu des raisons de haïr Agamemnon, roi de Mycènes ? Effectivement, ses motifs sont tellement nombreux qu’il n’est pas difficile de lui donner, en partie, raison. Costanza Casati relie les pièces de ce grand puzzle constituant les mythes de Clytemnestre, d’Agamemnon, d’Hélène, de la Guerre de Troie, afin de constituer le portrait d’une femme à qui l’on a rien épargné mais qui n’a jamais abdiqué.
L’autrice fait tout pour la magnifier : forte, vaillante, perspicace, protectrice envers les siens, Clytemnestre sait où elle veut aller dans la vie et s’en donne les moyens, quitte à se créer de plus grandes souffrances en se s’abandonnant pas à son tortionnaire. Et cela fonctionne, Clytemnestre est inspirante, émouvante mais aussi effrayante et cruelle. Consciente de défauts, elle fait toujours dans la démesure, quitte à aller au-devant du danger et à laisser derrière elle l’image caricaturale de la femme adultère et meurtrière.
« Ambition, courage, méfiance. Vous qui serez bientôt reines, vous en aurez besoin pour résister aux hommes qui tenteront de vous écarter. »
Une lecture féministe du mythe
Le ton féministe est donné dès le début en choisissant de raconter le mythe d’une Spartiate. Les femmes de ce royaume sont de véritables combattantes, presque au même titre que les hommes, et les filles du roi Tyndare, à l’image de leur mère dans sa jeunesse, ne se laissent pas facilement soumettre. Les femmes seront donc mises à l’honneur dans ce roman : Clytemnestre, Hélène, l’une de leur sœur Timandra, leur cousine Pénélope, et les filles de Clytemnestre Iphigénie et Electre.
La vie entière de Clytemnestre est remplie de femmes qui tentent de trouver leur place au sein de ce grand échiquier masculin et patriarcal qu’est leur monde. Certaines s’en sortiront mieux que d’autres. Clytemnestre est celle qui est sans conteste la plus flamboyante, dès ses plus jeunes années racontées au début du roman. Les décennies défilent et la princesse imperturbable devient la reine qui ne recule devant rien pour obtenir vengeance et justice.
De leur côté, les hommes sont pour la plupart violents, entre ceux qui jouissent de leur férocité contre les autres (Agamemnon, Ménélas, Tyndare, Thésée) et d’autres plus doubles qui ne craignent pas d’être associés à ces brutes comme Ulysse ou Calchas. Heureusement, hormis les deux frères de Clytemnestre, d’autres personnages masculins sont dépeints comme positifs. Tantale est un homme en parfaite opposition à Agamemnon, ce qui offre à sa relation avec Clytemnestre un lien d’autant plus puissant, beau et tragique. Egisthe, cousin fugitif d’Agamemnon et de Ménélas, est bien plus nuancé et gris, ce qui ne le rend que plus intéressant dans le dernier tiers du livre.
Suivant pas à pas la vie de Clytemnestre, de son adolescence à la fin de sa vie, nous découvrons toute l’étendue de son mythe qui rêvet diverses facettes. Quelques longueurs se font ressentir, l’autrice mettant plus l’accent sur les sentiments de sa protagoniste que sur les différentes péripéties au cours de son existence. Le rythme est donc loin d’être effréné, la puissance psychologique du livre étant suffisante pour nous passionner au sujet de ce personnage mythologique qui n’a longtemps été que reconnu pour ses mauvaises actions à la fin de sa vie.
« Le nom d’Agamemnon, en revanche, restera dans les mémoires. Elle s’en moque : elle sait qu’il est coutumier que les rois deviennent des héros pour les générations futures. Héraclès, Persée, Jason, Thésée… Des chansons les honorent, qui transforment leur férocité en rayons de soleil.
Quant aux reines, elles sont selon les cas honnies ou méconnues. Elle sait déjà quelle option lui convient le mieux : qu’on la haïsse jusqu’à la fin des temps. »
Ce roman m’a totalement transportée grâce à sa reine merveilleusement mythique. Sa force, son courage, sa résilience, sa rage font de Clytemnestre un personnage passionnant à suivre dans la tragédie qu’est sa vie. Malgré quelques moments de lenteur, ce roman nous emporte au côté de ces personnages légendaires et, finalement, profondément humains avec leurs failles, leurs forces, et leur perversité.
Titre original : Clytemnestra
Sortie : octobre 2023
Édition : JC Lattès
Genre : Mythologie
425 pages
Il me tentait déjà mais j’avais peur d’être déçue, mais ton avis me pousse à me lancer. Le travail fait sur cette figure mythologique semble convaincant et le récit prenant malgré quelques longueurs. Quant au ton féministe, il finit de me convaincre.
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Enthousiasme partagé pour cette réécriture qui permet de mettre à l’honneur des voix féminines assez peu connues et pourtant, comme tu le soulignes, des plus passionnante !
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Voilà une belle chronique qui donne envie de se plonger dans cette réécriture. Ma curiosité me donne envie de me laisser tenter.
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Son nom m’est familier mais j’aurais été incapable de la situer dans la mythologie! Cette réécriture serait une bonne façon de mieux connaître cette femme éduquée parmi les hommes.
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Je t’avoue que j’avais un peu mise en pause ces lectures justement trop nombreuses et à la qualité aléatoire…
Ton avis, venant de quelqu’un qui a un peu le même parcours, me donne très envie de découvrir ce roman. C’est noté 😉
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