Une jeune adolescente, née obèse, mange, grossit et s’isole. Sa mère s’enfuit, horrifiée par son enfant. Ses camarades de classe la photographient sans répit pour nourrir le grand Œil d’internet. Son père, convaincu qu’elle aurait dévoré in utero sa jumelle, cuisine des heures durant pour nourrir «ses princesses». Seule, effrayée par ce corps monstrueux, elle tente de comprendre qui elle est vraiment. Quand elle rencontre par accident l’amour et fait l’expérience d’autres plaisirs de la chair, elle semble enfin être en mesure de s’accepter. Mais le calvaire a-t-il une fin pour les êtres «différents» ?
DE LA MÊME AUTRICE
– Le Rire des déesses
Je me dévore dans une exquise absence de souffrance.
Autour de moi se fige un lac de sang. Toute ma courte vie, j’ai défié ma biologie du corps. Maintenant, je défie la biologie de la mort.
Tout dévorer sur son passage. Les aliments, l’espace autour de soi, l’essence de tout, l’absence des êtres chers, la culpabilité et l’incapacité de savoir quoi faire pour ceux qui restent, voilà tout l’esprit de ce roman. Dur, sans fard, nullement accommodant, le récit est celui d’une enfant qui grossit et grossit au fil des ans et qui n’arrive plus à s’arrêter, à se sustenter. Face à cette enfant obèse, où se trouve la normalité ? Existe-t-elle ? Et si oui, est-elle présente afin de ranger les êtres humains dans des cases ou de pointer encore plus facilement du doigt et plus rageusement ceux qui ont franchi depuis longtemps la limite ?
Sans réellement se morfondre où s’apitoyer sur son sort, la jeune narratrice fait face à ses difficultés et à ses travers. Regardant en face sa vie sur terre depuis sa naissance, elle relate l’évolution gigantesque de son corps, les surplus qui s’ajoutent peu à peu sans qu’elle y fasse attention pour que finalement ils ne puissent plus jamais disparaître. Conte de l’excès, de la dévoration de tout, de la haine d’autrui pour sa différence, Ananda Devi réussit avec beaucoup de justesse à nous retranscrire l’avancement d’une enfant jusqu’à l’adolescence fortement marquée par le regard venimeux et/ou apeuré des autres et par le sien tout aussi destructeur.
Ce roman ne sera sûrement pas facile à lire face à la multitude d’émotions que la narratrice et que le lecteur, par le regard parfois acerbe de la jeune fille face cette société dont elle ne fait peu à peu plus partie, peut ressentir. Face à son obésité, la majorité des gens vont montrer du dégoût, de l’incompréhension, de la peur. Et il y a ceux comme son père qui vont tenter de trouver une explication plus ou moins rationnelle afin d’accepter l’état de sa fille. Tel un ogre, la jeune fille dévore tout sur son passage, les forces de sa mère qui s’amenuisent peu à peu jusqu’à ce que celle-ci disparaisse de sa vie, ses défenses face au monde extérieur qui ne fait que la rejeter toujours un peu plus, ses forces personnelles physiques et mentales, jusqu’à ce qu’elle ne ressente que solitude et fatalité.
Ma bouche était une caverne. Encore, encore, encore, hurlait le bébé souverain, le tyran aux joues rouges, le conquérant aux cuisses de sumo.
Heureusement, la vie offre de nombreux cadeaux et le sien sera René. Par son regard tendre est différent des autres, elle arrivera peut-être à mieux s’accepter en tant que fille, en tant que femme et en tant qu’amante. Ce roman de l’excès propose quelques moments de douceur parmi toute cette constatation de la société contemporaine : l’abus des nouvelles technologies avec les réseaux sociaux, une image de la femme parfaite ancrée dans la majorité des esprits par la société de consommation, les relations humaines parfois régies uniquement par les apparences,…
À l’image de tout ce récit, la fin se trouve montre particulièrement fort et déchirante. L’auteure n’espère pas par son récit apporter une certaine complaisance ou un espoir surdimensionné face à un avenir potentiellement meilleur mais une véritable constatation de ce que peut être la vie d’un être vivant en surpoids, en proie à une obésité morbide qu’il n’arrive pas à contrôler, à réfréner.
Manger l’autre semble être un roman important qui s’adonne à signaler comme tant d’autres les maux d’une société occidentale (ici, spécifiquement la société américaine) tournée trop fortement vers les apparences. Je remercie donc fortement la maison d’édition Grasset et NetGalley pour m’avoir fait découvrir ce récit poignant et pas toujours aisé à appréhender face aux sentiments de la narratrice et à l’introspection souvent très rationnelle qu’elle opère continuellement.
Plus que le mal physique, je suis la représentation psychique de notre époque, j’en suis l’immodéré somatisé, la terreur et la spirale autodestructrice.
Un récit poignant et sans fards sur les maux d’une adolescente obèse qui n’arrive pas à appréhender le monde extérieur à cause de son handicap physique. L’auteure n’hésite à trancher dans le vif et à placer sous le nez du lecteur les pires défauts de l’être humain lorsqu’il est dans l’incompréhension.
COUP DE ❤
Sortie : janvier 2018
Édition : Grasset
224 pages
Ce livre a l’air d’avoir un approfondissement psychologique extrêmement puissant. Je retrouve dans ta chronique des études de cas très précises que j’ai pu étudier en étude de psychologie, c’est frappant!
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Ca m’a l’air très particulier, je retiens !
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Oui, pour le coup, c’est pas un livre que tu lis quand tu as envie de quelque chose de « simple » pour te faire passer un bon moment ^^ C’est parfois dur de se rendre compte de la manière avec laquelle les autres voient cette adolescente et surtout le regard de celle-ci sur elle-même.
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