La mère de Puck lui réserve une sacrée surprise pour ses 5 ans : un changement radical de vie. Après avoir réuni quelques affaires, les deux se retrouvent en bas de leur immeuble miteux de Rotterdam quand une voiture de luxe approche. En sort un « très vieux monsieur » aux grandes oreilles, vêtu d’un costume gris : c’est le nouveau futur beau-père de Puck, surnommé « Bistouquet » par la mère, bimbo blonde exubérante d’au moins trente-cinq ans sa cadette.
Peu de temps après, ils atteignent un « château », la nouvelle maison de Puck, où de nombreux cadeaux l’attendent déjà. La mère de Puck est aux anges, enfin la vie rêvée qu’elle mérite avec lustres au plafond et accès illimité à la carte bancaire de Monsieur. Inutile donc de se priver : fourrures en tous genres, bottes vernies à talon et coiffures de star. Éberluée, Puck observe sa mère se pavaner, plus aguicheuse chaque jour, devant son nouvel amoureux.
Les rideaux de madame Marsman bougent. Elle les a déjà écartés trois fois pour vérifier si on était encore là. Chaque fois, on est encore là. J’ai fait des grands gestes et j’ai crié que c’était mon anniversaire, mais maman m’a dit : « Ferme-la, Puck ! Tu vas finir par réveiller toute la rue à force de beugler ! »
1975. Le jour de ses cinq ans, Puck voit sa vie être complètement chamboulée. Attendant sur le trottoir avec sa mère en face de leur immeuble à Rotterdam les valises à leurs pieds, la petite fille est perdue. Et lorsqu’elle voit arriver un vieux monsieur qui les aborde pour les inviter à entrer dans sa voiture, les questions fusent dans sa tête. Mais Puck a beau n’avoir que cinq ans, elle sait s’adapter, même lorsqu’elle n’a pas encore toutes les informations à sa portée.
Bientôt, elle comprend que ce monsieur est son nouveau beau-père et que celui-ci les invite avec sa maman à le rejoindre dans sa grande maison. La maman de Puck n’est qu’exubérance et naïveté alors que la petite fille découvre ses changements avec un profond calme et une naturelle compréhension. Commence alors cette nouvelle vie loin de son quartier défavorisé où rien ne semble lui être refusé à part une chose fondamentale : son innocence.
Dès le début de la cohabitation, son beau-père prend très à cœur son rôle de figure paternelle et compte bien s’occuper de Puck entre des rituels de brossage de cheveux et de bains hebdomadaires. Alors que la mère délaisse de plus en plus sa fille (mais, a-t-elle déjà été réellement présente pour elle ?) « Tonton-monsieur » qui devient par la suite « Papa » prend une place de plus en plus grande dans la vie de Puck.
Celle-ci comprend dès le début que quelque chose cloche, que sa relation avec cet homme n’est pas normale, naturelle. Et lui ne s’en cache absolument pas. Il le lui dit, ce n’est pas sa mère qu’il aime mais bien elle. Alors que cette mère superficielle et immature continue d’aller à droite et à gauche sans jamais se douter de rien, le vieil homme poursuit son jeu pervers sur cette enfant d’année en année sans jamais ressentir un quelconque remord pour ce qu’il fait et en en demandant toujours plus.
Avec ces mots d’enfants et avec toujours beaucoup de rationalité, Puck raconte les sévices que lui fait endurer cet homme et qu’elle ne peut révéler. Le lecteur est réellement face à cette horreur permanente dans le quotidien de cette fille à chaque fois que ces deux personnages se retrouvent tous les deux, alors même parfois que la présence de la mère est très proche. On peut alors se demander si la mère ne ferme pas délibérément les yeux ou de manière plus inconsciente pour ne pas avoir à accepter ce qui est sous ses yeux. Car, au vu du désintérêt de son « Bistouquet » pour sa personne comparé à celui toujours plus flagrant pour sa fille, il n’est pas forcément difficile de comprendre que quelque chose cloche.
Sans aucun rempart, Puck se protège de la seule manière à sa disposition, une manière peu consciente afin de lancer un message d’alerte : elle ne mange pas. De plus en plus maigre, la jeune fille en est que plus fatiguée, famélique, et il est encore plus invraisemblable de faire face à l’attrait que peut avoir son beau-père pour son corps d’enfant maigre et absolument pas formé. Heureusement, Puck arrive à trouver quelques joies dans son quotidien comme à l’école en présence de Monsieur Hofslot, son professeur qui va devenir une personne importante pour elle, une bouée de sauvetage.
Néanmoins, même si Puck pense un jour s’éloigner de cette figure paternelle destructrice, elle sait qu’elle n’est pas forcément aidée par son cercle familial endetté et possédant des idées très arrêtées sur la vie et sur la seule manière de survivre. La jeune fille n’a pas fini de découvrir les faces les plus sombres, les plus tristes et les plus affligeantes de l’être humain. Devant finalement s’occuper elle-même de sa mère et de sa propre vie, Puck fait preuve d’un sang-froid et d’un courage à toute épreuve.
Lorsque l’on sait que l’auteure s’emploie à raconter l’histoire véridique de sa meilleure amie, le récit fait encore plus froid dans le dos. Car, tout est perçu à travers le regard d’une petite fille où l’innocence et la candeur ont disparu beaucoup trop tôt dû à un milieu familial désastreux. Rien n’est visuellement percutant ou cru lorsque Puck raconte les moments partagés avec son beau-père mais ses ressentis racontés toujours d’une manière détachée, ses silences ou ses sous-entendus parfois plus troublants que les mots rendent ce roman poignant et souvent incroyablement dur à appréhender.
Puck ne semble jamais se voir comme une victime, elle ne se morfond pas. Elle comprend uniquement que les choses ne sont pas normales depuis le premier jour où elle est entrée dans cette maison. Elle comprend du haut de ces cinq ans avec une intelligence folle que les cadeaux qu’elle recevra seront le plus souvent empoisonnés, mais qu’elle ne pourra pas les refuser avant de trouver la force de parler, de tout révéler. Merci à la maison d’édition Calmann-Lévy et à NetGalley pour m’avoir permis de découvrir cet ouvrage émouvant, empreint d’une horreur infinie et d’une incroyable force.
Un roman dont on ne peut sortir indemne face aux horreurs auxquelles cette jeune fille fait face avec toujours beaucoup de force et de sang-froid. Aucun parent n’arrivera à être un véritable allié dans toute cette horreur mais heureusement, Puck pourra tout de même compter sur sa propre persévérance et sur quelques personnes.
Sortie : janvier 2018
Édition : Calmann-Lévy (Littérature étrangère)
384 pages
Pfiou quel récit! Je ne suis pas sure d’avoir les épaules pour lire une telle histoire ayant beaucoup de mal avec les aspects de pédophilie en général, d’autant qu’il s’agit d’une histoire véridique. Merci en tout cas pour cette critique très éclairante.
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De rien, c’est sûr qu’il faut s’accrocher face à ce genre de récits. Cette lectures est loin d’être une partie de plaisir mais elle prend aux tripes.
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