Entièrement plongée dans Aliss de Patrick Sénécal, je n’ai pas pu m’empêcher de noter les références faites dans ce roman, que ce soit pour Alice au pays des merveilles ou pour la pièce de théâtre de Jean Racine. Mais l’histoire d’Andromaque était connu bien avant le dramaturge du XVIIème siècle et a été initialement écrite par Euripide, un tragique de l’Antiquité. À travers la même intrigue, Euripide et Racine s’attachent à apporter leur propre marque à cette histoire. Dans les deux cas, il est question d’Andromaque, veuve d’Hector, ennemi d’Achille et héros grec déchu lors de la guerre de Troie, emprisonnée par le fils d’Achille, Néoptolème (Pyrrhus chez Racine). Celui-ci tombe éperdument sous le charme de sa prisonnière, un amour qui va mener à une bataille sanglante.
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Andromaque de Jean Racine
Et vous le haïssez ? Avouez-le, Madame,
L’amour n’est pas un feu qu’on renferme en une âme;
Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux,
Et les feux mal couverts n’en éclatent que mieux.
Ayant lu la pièce de Jean Racine en premier, c’est avec elle que je me suis plongée auprès des conséquences de la Guerre de Troie avec Hector devenu un héros grec déchu et Pyrrhus le maître de sa cité. Promis à la belle Hermione, fille de Ménélas, il ne peut malheureusement rester insensible à la beauté et à la jeunesse d’Andromaque. Mais celle-ci n’est pas prompte à accepter les avances de son nouveau maître, restant fidèle à son défunt mari et tiraillée par la potentielle exécution de son fils Astyanax. Perçu comme l’ultime ennemi de la cité, les Troyens veulent la mort de ce dernier. Pyrrhus serait prêt à accorder à Andromaque la survie de son fils contre son abandon dans sa couche. Mais le percevant toujours comme son ennemi, Andromaque ne peut accepter ce marché qui l’a déshonorerait même si elle sait que son choix pourrait coûter la vie de son fils.
Il y en a bien une autre qui est farouchement contre cette union. Promise et amoureuse de Pyrrhus, Hermione ne peut comprendre son trouble face à l’esclave et elle est prête à tout pour que son mariage ne soit reculé voir abandonné. S’arrangeant alors pour qu’Oreste, fou d’amour pour elle, l’aide à obtenir ce qu’elle désire, elle compte bien éloigner Andromaque de son futur époux. Cette véritable tragédie dévoile les différents amours contrariés de ces quatre personnages. Chacun tourne son attention vers la mauvaise personne ce qui va les mener a des conséquences et des répercussions désastreuses. Andromaque est la première pièce de Racine que je lis et même si je savais que la pièce serait écrite en alexandrins, j’ai vite compris que ce style versifié n’allait pas faciliter mon immersion dans cette pièce. Néanmoins, il est difficile de ne pas s’intéresser aux desseins des divers protagonistes qui sont gouvernés pour la plupart par le coeur et non par la raison. Un feu passionné enflamme alors la vie de chacun d’eux débordant bientôt jusqu’à devenir destructeur. Et malgré leurs intentions personnelles, tous sont finalement des victimes de leurs propres désirs car ils ne peuvent pour aucun d’entre eux obtenir ce qu’ils souhaitent ardemment que ce soit l’amour, la possession, la richesse, la survie d’un être cher ou l’honneur.
Je ne t’ai point aimé, cruel ? Qu’ai-je donc fait ?
J’ai dédaigné pour toi les vœux de tous nos princes ;
Je t’ai cherché moi-même au fond de tes provinces ;
J’y suis encor, malgré tes infidélités,
Et malgré tous mes Grecs honteux de mes bontés.
Je leur ai commandé de cacher mon injure ;
J’attendais en secret le retour d’un parjure ;
J’ai cru que tôt ou tard, à ton dévoir rendu,
Tu me rapporterais un cœur qui m’étais dû.
Andromaque d’Euripide
Apparence, ô apparence ! Combien de gens qui ne sont rien te doivent une vie de faste et de grandeur ! Ceux dont la gloire est fondée sur la vérité je les estime heureux. Mais la renommée qui vient du mensonge n’est à mes yeux que faux-semblant et pur hasard.
Beaucoup plus courte, j’ai rapidement continué sur ma lancée avec la pièce originale d’Euripide avec tout autant d’intérêt. Cette fois-ci, Pyrrhus se nomme Néoptolème et il se révèle bien absent de la pièce, planant plutôt comme une ombre sur le destin et les choix des personnages. La pièce s’intéresse davantage au conflit entre Andromaque et Hermione qui se transforme en rivalité déchirante. Néoptolème aime son esclave et lui a même fait un fils et Hermione, sa femme, désapprouve farouchement cette union. Enragée par la jalousie qu’elle voue à son ennemie, elle en a fini de seulement déclamer des accusations de sorcellerie ou de l’insulter. Ne pouvant plus supporter la présence d’Andromaque, elle profite d’un voyage de son mari afin de se débarrasser de sa rivale avec l’aide de son père arrivé expressément au sein de la cité. Voulant se défendre pour sa survie et celle de son fils, Andromaque tente de déclamer son innocence et de prier Thétis de lui venir en aide.
Mais malgré ses supplications et ses cris d’innocence, Hermione et Ménélas sont irrévocablement prêts à la supprimer. Andromaque se retrouve dans la pièce originale en véritable victime de son passé par son union avec Hector et de sa beauté qui lui attire l’envie insatiable de Néoptolème et bon nombre d’épreuves. Tout aussi tragique, cette pièce m’a davantage intéressée de par le style plus immersif et par le choix que prend Euripide pour le tournant de sa pièce. Les véritables héroïnes ici sont bien Andromaque et Hermione en conflit malgré elles à cause de l’homme qui porte beaucoup trop d’importance à l’une et délaisse l’autre. L’amour et ses vices tels que l’envie ou la jalousie amènent à de terribles conséquences qui sont très intéressantes à découvrir dans cette pièce. Je ne comprends pas le choix de certaines modifications faites par Jean Racine dans sa réinterprétation de cette pièce même si j’apprécie la distinction entre les deux histoires qui nous permettent de les apprécier toutes les deux pour ce qu’elles sont véritablement, n’ayant pas une impression de copier-coller.
Ma confiance, oui ! Ah ! quelle étrange chose ! On a reçu du Ciel ici-bas des remèdes au venin des serpents, et contre ce qui est, et de loin, plus funeste qu’incendie et vipère, une femme méchante, personne n’a encore découvert d’antidote.
- Médée et Alceste d’Euripide