Revenant sur sa jeunesse, ses traumatismes de guerres, ses amours perdus, Louis Aragon raconte en vers le temps qui passe fait d’apprentissage, de souvenirs et de désillusions.
Ils ne sauront que bien plus tard le prix passager de cette heure
Je me souviens de ce parfum pourtant sans cesse évanoui
Je peux avec les yeux ouverts retrouver mon cœur ébloui
Je me souviens de ma jeunesse au seul spectacle de la leur
Je me souviens
Le Roman inachevé est l’un des derniers livres de mon cursus universitaire que je n’avais pas pris le temps de lire à l’époque. Ça a été chose faite en janvier dernier et je ne regrette pas de m’y être enfin plongée. Louis Aragon est un romancier et poète ayant marqué les mouvements littéraires de son époque, le dadaïsme et le surréalisme, avant de les quitter dans les années 30. Et si Le Roman inachevé se prête à un peu de surréalisme, il est globalement composé de poèmes qui reviennent sur les jeunes années de l’écrivain, sur ses amours, ses regrets et ses traumatismes avec réalisme.
Contrairement à ce que l’on peut penser au vu du titre, Aragon ne propose pas ici une fiction comme il a pu en écrire antérieurement mais bien un recueil de poèmes. Il faut ici prendre le mot « roman » dans sa définition d’origine, « un récit en vers français (en roman) ». Dans cette autobiographie poétique, Aragon se replonge en lui-même et fait ressortir grâce à cet exercice des vers puissants et évocateurs. Il diversifie sa poésie en terme de strophe, de métrique, et s’écarte volontiers des formes traditionnelles du genre, notamment dans ses poèmes composés de longs vers ressemblant davantage à de la prose. Ces derniers sont particulièrement forts et marquants, la forme originale et déstabilisante donnant encore plus de poids au fond.
C’est dans ces poèmes qu’il se laissera aller à évoquer les traumatismes de la guerre, ses souffrances, ses regrets, ses amours perdus. L’émotion est bien présente, ces moments de vie pouvant parler au plus grand nombre. Fatigué, le poète se livre à une introspection désillusionnée de sa vie tout en proposant parfois des poèmes moins ternis par les années qui lui permettent de se rappeler avec nostalgie les endroits dans lesquels il a aimé se rendre et son amour pour Elsa. Les textes sur ses lieux de prédilection m’ont moins parlé mais je garde une profonde tendresse pour les autres qui reflètent un désespoir et une incompréhension terribles au moment où ses épisodes se sont déroulés.
c’est dans ce que j’aime que je gémis dans ce que j’aime que je saigne et que c’est dans ce que j’aime qu’on me frappe qu’on me broie qu’on me réduit qu’on m’agenouille qu’on m’humilie qu’on me désarçonne qu’on me prend en traître qu’on fait de moi ce fou ce perdu cette clameur démente et le pis est que chaque mot que chaque cri chaque sanglot comme un écho retourne blesser d’où il sort et cette longue peur que j’ai de lui comme un boomerang inhumain suivez sa courbe en haut de l’air et voyez donc comme il revient le meurtrier par une merveille physique
Bousculant les codes de la versification, Aragon raconte sa jeunesse perdue, ses désillusions, son amour pour sa Elsa, etc… Les poèmes concernant les endroits qu’il apprécie ne m’ont pas du tout touchée. Par contre, ceux sur le temps qui passe et sur les conséquences psychologiques de la guerre ont fait totalement mouche.
Sortie : 1956
Édition : Gallimard (Poésie)
Genre : Autobiographie, Poésie
246 pages