En Styrie, la jeune Laura se lie bientôt à Carmilla. Fuyant la lumière du jour et cachant son passé, Carmilla se révèle de plus en plus étrange alors que les jeunes filles des environs meurent d’un mal inconnu qui les videraient de leur sang.
UNE ADAPTATION
– Carmilla, Pascal Croci
En Styrie, bien que nous ne comptions nullement parmi les grands de ce monde, nous habitons un château ou un schloss.
Parfois, on se demande si c’est bien utile de relire un livre que l’on n’a pas aimé. Adolescente, j’avais tenté l’expérience avec Carmilla et je m’étais profondément ennuyée. Aujourd’hui, j’ai été véritablement conquise. Comme quoi, selon le moment et l’évolution de nos goûts, une lecture peut être complètement différente. En ayant découvert ce mois-ci Dracula de Bram Stoker, j’ai eu l’envie de poursuivre mon étude sur le mythe du vampire avec ses textes fondateurs. Car, avant Dracula, il y a eu Carmilla et, entre les deux œuvres, il y a de grandes différences de tons et de thèmes.
Si Bram Stoker a choisi la facette effrayante, masculine et cruelle du vampire, Joseph Sheridan Le Fanu a de son côté opté pour celle plus languissante, féminine et sensuellement dangereuse. Avec cette nouvelle, l’auteur va proposer un récit gothique mêlant l’horreur produite par une série de meurtres et la relation ambiguë entre la jeune Laura et sa nouvelle amie Carmilla. Sheridan Le Fanu ose explorer les interdits avec une certaine sensualité romantique entre deux femmes qui se conclue par le don de sang, un acte prohibé mais qui se présente ici finalement comme quelque chose d’intime, de charnel mais de venimeux.
Isolée dans son château en Styrie en compagnie de son père et de ses deux gouvernantes, Laura attend avec impatience l’arrivée de la nièce d’un ami de la famille. Malheureusement, quelques mois avant son arrivée, la fille meurt subitement sans que l’on ne comprenne son mal. Quelques temps après cette funeste nouvelle, Laura fera la connaissance de Carmilla, recueillie au château. Suite à un accident de carrosse, le père de Laura accepte généreusement de prendre soin de la nouvelle amie de sa fille le temps que sa mère revienne au pays. Et, alors que Laura et Carmilla deviennent de plus en plus proches, une étrange épidémie semble toucher les jeunes filles des environs.
« Dans le ravissement de mon humiliation sans bornes, je vis de ta vie ardente, et tu mourras, oui, tu mourras avec délices, pour te fondre en la mienne. Je n’y puis rien : de même que je vais vers toi, de même, à ton tour, tu iras vers d’autres, et tu apprendras l’extase de cette cruauté qui est pourtant de l’amour. »
Attristée par la mort de ces filles, Laura s’interroge également de plus en plus sur le comportement étrange de son amie. Elle qui ne sort de sa chambre qu’à partir de l’après-midi et qui ferme sa porte à double-tour la nuit, elle cache tout de son identité et de son passé et fait preuve d’une langueur déconcertante. Le style gothique se ressent tout à long de la nouvelle avec cette atmosphère pesante, étrange et inquiétante. Les propos de Carmilla sur la mort et l’amour ne manquent pas également d’un côté sinistre et mélancolique séduisants.
Narratrice de cette histoire, Laura raconte les événements tels qu’elle les a vécus, avec sa naïveté et sa curiosité de jeune fille. C’est de là que vient quelques formules empruntées qui en font parfois trop pour nous plonger dans le récit : « Je vais vous le dire.. », « Je l’ai déjà dit… », « Écoutez bien, et émerveillez-vous ! ». L’auteur fait également preuve à certains moments d’égarements ou tout simplement d’oublis qu’il tente par la suite de rattraper. La période d’écriture a apparemment été très difficile pour Sheridan Le Fanu suite à la mort de son épouse et à un état mental défaillant. La nouvelle reste un des textes fondateurs sur le mythe du vampire qui ensorcèle encore aujourd’hui grâce à ses forces et aussi à ses faiblesses qui peuvent étonnamment séduire.
« Tu as peur de mourir ?
– Bien sûr : tout le monde éprouve cette crainte .
– Mais mourir comme peuvent le faire deux amants, – mourir ensemble afin de pouvoir vivre ensemble… Les jeunes filles sont semblables à des chenilles pendant leur existence ici-bas, pour devenir enfin des papillons quand vient l’été. Mais, dans l’intervalle, il y a des larves et des chrysalides, comprends-tu, dont chacune a ses penchants, ses besoins et sa structure. »
Cette relecture a été très bénéfique. Moi qui ne l’avait pas aimée il y a quelques années, je suis surprise d’être aussi conquise aujourd’hui. On plonge dans une ambiance parfaitement gothique avec ce mythe qui explore deux tabous de l’époque : le vampirisme et l’homosexualité féminine. Reste que le style s’égare parfois et met quelques bâtons dans les roues au début de la nouvelle.
Sortie : 2004 (1e éd. : 1960)
Édition : Le Livre de Poche (Libretti)
124 pages
Je n’ai pas eu le temps de lire la nouvelle durant le Pumpkin Autumn Challenge, mais elle me tente toujours autant, bien que j’avoue que les » Je vais vous le dire » et autres phrases du style ont le don de m’horripiler. En revanche, l’atmosphère gothique a l’air très bien retransmise…
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Dans cette édition, le traducteur a écrit une introduction dans laquelle il explique avoir garder au maximum le style de l’auteur, et justement toutes ces petites phrases qui m’énervent aussi d’habitude. Là, grâce à son intro, j’étais préparée ^^
J’espère qu’elle te plaira aussi alors, l’ambiance est vraiment particulière.
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Merci, je croise les doigts !
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Je suis tout à fait d’accord avec toi sur le fait que nos ressentis évoluent avec le temps. Certains livres seront intemporels, d’autres montent ou descendent. Quand on est très jeune, il nous faut une belle histoire, quand on grandit, on préfère l’atmosphère et aussi un style d’écriture plus adapté.
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Je suis totalement d’accord avec ton commentaire, nos attentes ne sont pas les mêmes d’un âge à un autre, elles évoluent pour s’intéresser à telle ou telle particularité du livre. Je suis bien contente d’avoir redonné sa chance à Carmilla.
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Très tentée surtout avec ce format court et ce petit prix ! Merci pour la découverte ^^
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Ça aide à sauter le pas ^^ Autant te dire qu’après Dracula qui m’a paru inutilement long, j’étais bien contente d’avoir un texte aussi concis sur les vampires.
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Haha vive les nouvelles qui obligent les auteurs à aller à l’essentiel !
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Je ne l’ai encore jamais lu, mais j’en ai beaucoup entendu parler et j’aimerais découvrir un peu plus de littérature gothique… Merci de l’avoir mis en avant, je me le note, ne serait-ce que pour découvrir une version plus féminine du mythe du vampire !
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C’est vrai qu’on parle plus généralement de Dracula, mais Carmilla offre une vision très différente du mythe avec tout autant de talent.
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Un bon récit de style gothique qui me tente bien. Je pense comme toi que l’on peut être différemment réceptif aux lectures, selon notre âge ou les périodes que l’on traverse. J’ai lu adolescente « L’oncle Silas » de ce même auteur et je l’avais beaucoup apprécié à l’époque. Je l’ai relu quelques années plus tard, et ce roman avait perdu beaucoup de son charme, je ne m’explique pas pourquoi! Mais en général, j’aime beaucoup les récits de style gothique.
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Il faudrait que je lise d’autres livres de cet auteur, je note L’Oncle Silas 🙂
Si tu aimes ce genre d’ambiance, tu as de grandes chances d’apprécier Carmilla malgré ses quelques travers stylistiques.
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